L’écrasant héritage Friedman

Publié le par david castel

Economie

Disparition . L’architecte de l’ultralibéralisme économique des deux dernières décennies du XXe siècle vient de s’éteindre. Sa pensée aura considérablement influencé le cours politique de la planète.


A 94 ans, l’un des plus importants économistes du XXe siècle, l’Américain Milton Friedman, est mort jeudi 16 novembre. Sa pensée ultralibérale avait notamment exercé une énorme influence sur le gouvernement de Ronald Reagan, le président américain, et celui de Margaret Thatcher, la première ministre britannique au début des années 1980. Prix Nobel en 1976, il fut le défenseur infatigable de l’ouverture des marchés, de la réduction des impôts et des dépenses publiques. Une position qu’il aimait résumer par cette simple phrase : « Personne ne dépense l’argent de quelqu’un d’autre aussi consciencieusement que le sien ». Manière de signifier que la dépense publique impliquerait nécessairement gaspillage et inefficacité.

L’annonce de sa mort a provoqué de nombreuses réactions dans les milieux économiques et politiques internationaux. Jamie Dettmer, responsable des relations presse du Cato Institute, estime, lui, que « si Keynes a dominé la pensée économique au milieu du XXe siècle, Friedman domine la pensée économique à la fin du XXe siècle et il le fera à l’aube de ce nouveau siècle ». Quant au secrétaire au Trésor américain Henry Paulson, il s’est dit « attristé », en soulignant que « ses points de vue précurseurs sur le lien entre la liberté économique et politique avaient ouvert la voie de la prospérité et de la vitalité financière dans le monde ».

Né à New York d’une famille d’immigrants juifs aux Etats-Unis, Friedman a d’abord fait ses études en mathématiques, puis en économie. Il a obtenu, en 1946, un doctorat en économie de l’Université de Columbia, à New York. Chercheur au bureau national de recherche économique de 1937 à 1981, il a écrit plusieurs ouvrages, dont Une histoire monétaire des Etats-Unis (1963), où il explique que l’aggravation de la crise de 1929 attribuée à la baisse de la masse monétaire était évitable. Friedman, qui aimait dire que « l’inflation partout et toujours est un phénomène monétaire », est l’auteur de La Théorie quantitative de la monnaie. Une œuvre qui a ouvert la porte au « monétarisme », l’une des doctrines économiques les plus représentatives du courant libéral et qui a inspiré les administrations Nixon, Ford et Reagan. Hostiles à l’intervention de l’Etat, les monétaristes estiment en particulier que la politique monétaire doit s’inscrire dans la durée et être stable sur une longue période, afin d’éviter l’inflation, et ce, en laissant le marché agir librement. « Ses écrits et ses idées ont transformé les esprits des présidents américains, des dirigeants du monde, des entrepreneurs, mais aussi des étudiants en première année d’économie », a fait remarquer Gordon St. Angelo, président de la fondation Milton et Rose Friedman, dans un communiqué.

Cartels et monopoles

De sa part, Gouda Abdel-Khaleq, professeur d’économie à l’Université du Caire, attribue la dominance de ses idées au changement de l’équilibre des forces dans les années 1970 en faveur des sociétés multinationales dans les pays développés suite au choc pétrolier et à l’augmentation des prix du pétrole. « Ce moment-là représente le début de la croissance du secteur privé et l’ouverture des marchés », explique-t-il. Ainsi, la chute de l’Union soviétique en 1989 a-t-elle aidé à la transformation du reste des pays du globe.

Toutefois, les anti-libéralistes le considèrent comme étant la cause principale des crises économiques et de l’accentuation des disparités sociales dans le monde. Gouda s’inscrit contre le libéralisme économique, malgré son respect à Friedman, qui était pour lui un vrai philosophe et qui a déployé des efforts pour transformer ses pensées en une réalité. « Milton Friedman compte parmi les minorités qui ont influencé la vie des riches et des pauvres dans le monde entier. Il représentait les intérêts des hommes d’affaires ». Et ce car, toujours selon Gouda, ses idées libérales ont été traduites politiquement par la dislocation des syndicats des ouvriers au moment où les organisations des hommes d’affaires gardaient, voire renforçaient leurs positions. Ainsi, l’ouverture complète des marchés et la liberté individuelle devaient être appliquées dans des marchés caractérisés par un fort degré de concurrence. Ce qui n’est plus le cas sur les marchés internationaux, caractérisés par les cartels et les monopoles. « Bref, les marchés sont actuellement contrôlés par les riches entraînant l’augmentation de la pauvreté », souligne Gouda.

Sa pensée a profondément influencé les politiques de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Les deux institutions sont allées alors prêcher ce modèle, conseillant et parfois imposant aux pays qui voulaient s’endetter auprès de la Banque de mener des restructurations de leurs économies, de couper les dépenses publiques, d’ouvrir le marché local à la concurrence internationale et d’annuler tout obstacle posé aux flux de capitaux étrangers.

Gouda rappelle que l’Egypte et les pays arabes, comme la Tunisie ou le Maroc, n’ont pas échappé aux répercussions sociales et économiques dues à l’adoption de ses pensées. Il note que le pays souffre actuellement d’un taux de chômage élevé et persistant, ainsi que de l’appauvrissement du tiers de sa population. « De plus, la baisse des dépenses publiques suite à l’adoption des politiques de réformes économiques dès le début des années 1990 a détérioré le système d’assurance sociale et celui de l’éducation », regrette-t-il. Toutefois, Samir Radwane, président du Forum des recherches économiques, souligne que notre pays était le moins influencé par les pensées de Friedman. « Nous avons appliqué graduellement une partie des pensées de Friedman telles que la libéralisation des marchés et la politique monétaire. Des pressions sont exercées pour donner plus d’importance aux politiques des salaires et résoudre les problèmes du chômage dans le pays », explique-t-il.

Un article paru dans The Independant (britannique) signale que Friedman, prophète de la liberté individuelle, était lui-même le conseiller du général Pinochet au Chili, qui a accédé au pouvoir en 1973 suite à un coup d’Etat contre Salvador Allende, président socialiste élu au suffrage universel. « Ce coup d’Etat a été financé par la société américaine International Telegraph and Telephone (ITT) qui contrôlait les mines de cuivre du pays. Friedman avait défendu sa position selon laquelle il aidait à installer une vraie liberté des peuples », rétorque Gouda.

Friedman a été professeur à l’Université de Chicago de 1946 à 1976, où il est devenu le plus connu des chefs de « L’Ecole de Chicago », un groupe informel d’économistes libéraux. En Egypte, le ministre des Finances, Youssef Boutros-Ghali en est un des fidèles.

Gilane Magd

Publié dans Biographies

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