Céline sous ses masques

Publié le par david castel

Sébastien Lapaque
22/11/2007 | Mise à jour : 11:55 |
Commentaires 7
.
« La critique déconne, je suis le phénomène et s’il s’agit de faire le pitre, c’est dans mes cordes», constate l’écrivain. (AFP)
« La critique déconne, je suis le phénomène et s’il s’agit de faire le pitre, c’est dans mes cordes», constate l’écrivain. (AFP) Crédits photo : AFP

Une correspondance avec sa secrétaire particulière, un coffret de deux DVD et un document littéraire : trois nouvelles pièces à verser au dossier de l’écrivain maudit.

Dans les dernières années de la Quatrième et les premières années de la Cinquième, tandis que la France twistait sur fond de gaullisme, la visite à Meudon, où Louis-Ferdinand Céline, docteur Destouches, s’était installé après son retour du Danemark en septembre 1951, faisait figure de pèlerinage pour les esprits forts. Roger Nimier se faisait une gloire d’aller saluer en Aston Martin l’auteur de Voyage au bout de la nuit et Lucette Almanzor, son épouse, dans leur villa Louis-Philippe de la route des Gardes.

« C’est Lucette qui a trouvé la maison dans ce coin, envahie par les ronces, les orties, écrira Dominique de Roux dans La Mort de L.-F. Céline. Des arbustes au flanc de la colline. Il n’y a pas de chauffage. La cuisine est inexistante. Il faut remuer les pierres. Ils sont arrivés en taxi, et voilà ce lieu inhabitable qui donne sur les usines Renault, sur Paris, sur la tour Eiffel inévitablement. Ils sont descendus. Le chat s’est faufilé. » À l’entrée du jardin, une plaque indiquait simplement : « Dr L.-F. DESTOUCHES - DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS - DE 14 H A 16 H - SAUF VENDREDI. » Céline vivait au rez-de-chaussée avec ses chiens et son perroquet, tandis que Lucette donnait à l’étage des cours de danse classique « et de caractère ». Plus tard, Eugène Saccomano et Marc-Édouard Nabe ont refait ce pèlerinage. Mais l’ancien maître des lieux n’était plus là pour dire à ses visiteurs son dégoût pour « l’auto, l’alcool, l’ambition, la politique », en faisant comme si rien - ou presque - ne s’était passé durant la période 1940-1944.

 

Persécuté, persécuteur

Pour se faire une idée du petit jeu de Louis-Ferdinand Céline à cette époque, on se reportera au coffret que publient les Éditions Montparnasse. Sur l’un des deux DVD ont été repris deux grands entretiens avec André Parinaud (1958) et Louis Pauwels (1961) du romancier installé dans sa « salle à manger-bureau ». Deux documents passionnants, rarement diffusés à la télévision depuis quarante ans, notamment l’entretien audiovisuel avec Louis Pauwels. Préparé pour l’émission « En français dans le texte » en 1959, ce film avait été déprogrammé à la demande du Mrap et d’une association d’anciens combattants de la Résistance. On ne se souvient pas toujours quelles fureurs pouvait alors déclencher le seul énoncé du nom de Louis-Ferdinand Céline. Amnistié en avril 1951, rentré de son exil danois en juillet de la même année, installé à Meudon où il donnait de rares consultations, l’écrivain restait un maudit malgré un contrat d’exclusivité avec Gaston Gallimard, qui s’était engagé à republier toute son oeuvre et tous ses livres à venir. Et cette situation convenait très bien à cet artiste génial, comédien du martyr qui avait consacré sa thèse à Ignace-Philippe Semmelweiss, un médecin juif hongrois, chassé du corps médical pour avoir démontré le premier que le lavage des mains diminuait la mort par septicémie des femmes après l’accouchement. Le rappel de ce travail est à mettre en relation avec les transports antisémites de Céline dans Bagatelles pour un massacre (1937) et Les Beaux Draps (1941). Après avoir glorifié un Juif persécuté, Céline est lui-même devenu persécuteur, avant de finir sa vie dans la posture du martyr condamné à « la mort, la ruine, la persécution ». « Je me considère victime des vacheries », insiste-t-il, sans jamais amender quoi que ce soit, tandis que son perroquet siffle dans son dos. « Je travaille et les autres ne foutent rien », explique-t-il à Louis Pauwels. « Toujours plein de colère et enveloppé de misère », l’écrivain s’est ainsi composé un personnage de clochard sensible et génial visuellement très vendeur. On songe à Michel Houellebecq, qui a le même art de passer sans sourciller de propos brutaux sur les femmes musulmanes à des considérations délicates sur son chien Clément. Et la même façon de rouler les journalistes dans la farine - qui au lieu de poser des questions aux écrivains feraient mieux de lire leurs livres. Dans ses Entretiens avec le professeur Y, publiés en feuilleton dans la « nouvelle » Nouvelle Revue française pendant l’été 1954, Céline s’amuse de l’utilisation qu’il se prépare à faire de la télévision lors de la sortie de son livre D’un château l’autre, programmé pour le printemps 1957. « Tu t’es pas vu, Ferdinand ? t’es devenu fou ? pourquoi pas télévisionner ? avec ta poire, avec ta voix, tu t’es jamais entendu ?... tu t’es pas regardé dans la glace, ta dégaine ? » Resté barricadé chez lui au moment de la publication de Féerie pour une autre fois en 1952, il ne commet pas la même erreur lorsque paraît D’un château l’autre, sa chronique du repli de Pétain et de sa clique de collabos à Sigmaringen. Des pisse-copies veulent faire le voyage jusqu’à Meudon ? Qu’ils viennent...

 

« La vérité n’est plus d’époque »

« La critique déconne, je suis le phénomène et s’il s’agit de faire le pitre, c’est dans mes cordes, constate Céline, qui reçoit ses visiteurs en charentaises, couvert de chandails miteux et d’une pelisse de berger. Je vais les régaler, bientôt ils danseront la danse du scalp autour de mon poteau. Mentir, raconter n’importe quoi, tout est là. Il faut raconter aux gens ce qu’ils attendent, la vérité n’est plus d’époque. » Lorsqu’on lit les lettres que Céline écrit au même moment à Marie Canavaggia, son assistante depuis 1936, on se rend compte qu’il n’était ni le gâteux ni le clochard qu’il faisait semblant d’être pour émouvoir ses amis et ses ennemis. Expert en apocalypses, l’écrivain a un projet, il veut gagner sa course contre la mort, « la grande inspiratrice », pour achever la trilogie qui fera de lui le Joinville ou le Commynes de la Seconde Guerre mondiale. Après D’un château l’autre, Nord paraît en 1960. Le 30 juin 1961, Céline met un point final mis à Rigodon sur cette inoubliable vision des hordes chinoises s’arrêtant à Reims, pour descendre dans les caves de champagne « pleines de profondeurs pétillantes ». Et il meurt à Meudon, d’une rupture d’anévrisme, le 1er juillet.

Lettres à Marie Canavaggia (1936-1960) de Louis Ferdinand Céline Édition de Jean-Paul Louis, Gallimard, 752 p., 18 €.

Et aussi La Mort de L.-F. Céline, de Dominique de Roux, avant-propos de Jean-Marc Parisis, La Table Ronde, 195 p., 8,50 € . Céline vivant, DVD 2 disques, Èditions Montparnasse, 30 €

.

Voyage au bout de la télé

Céline, bête d’écran

Par Delfeil de Ton

Rue Cognacq-Jay et chez lui, à Meudon, au milieu de ses animaux, l’écrivain parle, et c’est fantastique!

 

 

Trois fois dix-neuf minutes, génériques compris, c’est ce que nous auront légué, de Louis-Ferdinand Céline, les caméras du XXe siècle.

129NOB01.jpg
INA

Trois entretiens, en 1957, 1958, 1959, que Pierre Dumayet, André Parinaud et Louis Pauwels eurent le talent et l’audace de mener pour la télévision, alors monopole d’Etat, et dont le premier, seul, fut diffusé. Avec le retour au pouvoir de De Gaulle, en 1958, les censeurs avaient de beaux jours devant eux. Ils en ont abondamment profité.

 

 

 

Même pas une heure! Mais quelles minutes! Les Editions Montparnasse les réunissent sur un DVD. L’émission de Dumayet d’abord, à propos de la parution de «D’un château l’autre». L’intervieweur se montre à peine, n’ouvre la bouche que pour laisser parler. Intelligence des questions. Jean Prat est aux caméras: intelligence des plans. Céline, le personnage, une bête d’écran. Ses attitudes, ses propos, sa voix. Rien, avant et après lui, qui ressemble à ce qu’on voit, à ce qu’on entend. Il n’a pas seulement écrit des livres qu’après lui c’est plus la peine, voilà aussi qu’il s’est montré, qu’il a causé.

 

129NOB02.jpg
INA
Et qu’il a remis ça. Et re-remis. Non plus dans les studios de la rue Cognacq-Jay mais chez lui, à Meudon. Nous sommes dans l’antre, dans la forge. Le perroquet est là, les pinces à linge. L’interview? S’il s’en fout, de l’interview. Que le perroquet n’aille surtout pas se sauver. Et les chiens. Qu’est-ce qu’ils ont, les chiens? On ne résume pas Céline. On en prend plein les oreilles, plein les mirettes et on se repasse le disque. Il y en a un deuxième!

Cette publication miraculeuse offre deux DVD. Cette fois, c’est Michel Polac. A peine de Gaulle reparti pour Colombey, mai 1969, passent à la télévision deux émissions où Polac a rassemblé Dominique de Roux, Gen Paul, Marcel Brochard, d’autres témoins du passé et, mieux que tout, va voir Lucette Almanzor, la dernière danseuse, la veuve. Elle a à dire, elle le dit bien. Il y a un psychanalyste, aussi, qui connaît l’œuvre et qui sait expliquer le travail. Pas loin de deux heures de points de vue divers qui nourrissent le spectateur, qui montrent des lieux: le Passage, la maison après l’incendie. Cinquante ans bientôt que l’écrivain est mort. Son œuvre n’a jamais été aussi vivante. Ces deux DVD, soigneusement édités, sont évidemment indispensables à connaître pour les lecteurs de l’auteur mais ils peuvent être une révélation pour qui ne l’a jamais lu: comment ne pas être attiré par un bonhomme pareil, n’avoir pas envie d’aller y jeter un œil, dans ses livres qui suscitent pareils intérêts?
DTT


«Céline vivant», coffret de deux DVD de 67 et 116 min, Editions Montparnasse, 30 euros. Plusieurs bonus dont un livret par Emile Brami.


A lire, enfin disponible en édition courante, de Louis-Ferdinand Céline, présentation et notes par Jean Paul Louis, «Lettres à Marie Canavaggia (1936-1960)», Gallimard, 754 p., 18 euros.

Source: «Le Nouvel Observateur» du 22 novembre 2007

Publié dans LAETITIA

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article