Le cirque médiatique de l'élection présidentielle française

Publié le par david castel

MICHEL ROCARD

[ 21/11/06 ] 

La désignation par le Parti socialiste de Ségolène Royal comme candidate à la présidentielle est une étape importante de la huitième élection présidentielle de la Ve République, dont le premier tour est fixé au 22 avril 2007, et le second deux semaines plus tard. D'ici à la fin janvier - la date butoir d'impression des bulletins de vote -, tous les candidats devront être connus. A ce stade, les quatre principaux partis politiques français, deux de gauche et deux de droite, auront chacun préparé leur manifeste politique et choisi leur candidat.

C'est du moins ainsi que fonctionne le système en théorie. Dans la pratique, bien que la campagne électorale ne soit censée durer que deux mois (une période assez longue en démocratie, où les candidats doivent endurer un tir de barrage incessant de la part des médias), les manoeuvres des candidats potentiels et le goût des médias pour la compétition ont fait démarrer la campagne électorale il y a près d'un an et demi. Les débats publics actuels ont, pour cette raison, un côté un peu surréaliste, parce que les programmes politiques sur lesquels s'appuieront les candidats ne sont pas encore définis. En l'absence de programme politique, c'est la personnalité et le style qui l'emportent. Je ne suis pas sûr que ce soit un bienfait pour la démocratie, mais c'est ainsi.

Deux personnalités charismatiques dominent pour l'instant les sondages d'opinion et semblent destinées à s'affronter au deuxième tour. Le candidat de la droite est Nicolas Sarkozy, le ministre de l'Intérieur (et brièvement ministre de l'Economie), dont l'ascension politique s'est inscrite dans le cadre du parti fourre-tout Union pour un mouvement populaire (UMP). Ce parti est l'héritier politique du gaullisme, mais son inconsistance idéologique est légendaire et est reflétée par le changement de nom du parti tous les huit ou dix ans.

Politiquement, Sarkozy est un conservateur, mais, sur le plan économique, il est un adepte fervent du libéralisme, une idéologie diamétralement opposée à la tradition gaulliste. Avocat de la répression sociale et des privatisations, il s'est positionné à la droite de la droite, dans l'espoir de récupérer les voix que la droite traditionnelle cède depuis vingt ans au Front national, le parti d'extrême droite de Jean-Marie Le Pen.

Sarkozy s'est imposé au mouvement gaulliste contre la volonté du président Jacques Chirac ; mieux, il s'est emparé de la présidence de l'UMP malgré l'opposition virulente de Chirac. Une grande partie du public apprécie ses propos crus et sa critique au vitriol du reste de la droite, notamment du Premier ministre, Dominique de Villepin, mais surtout de Chirac. Il ignore tout des affaires internationales, mais personne ne semble lui en tenir rigueur.

Ségolène Royal, la candidate de la gauche et la présidente socialiste de la région Poitou-Charentes, a une expérience limitée du gouvernement et a brièvement occupé les postes de ministre de l'Environnement, de ministre de la Famille et de ministre de l'Education. La fureur des ténors du Parti socialiste devant son ascension ne manquait pas de piquant. Elle doit encore prendre position sur les principaux problèmes du moment - l'instabilité financière, la faible croissance européenne, le Moyen-Orient - et elle ne pourra pas les éviter au cours de la campagne électorale. Mais son charme et son élégance, et son traitement sensé et énergique des problèmes sociaux lui ont permis de se maintenir au sommet des sondages depuis plus d'un an.

L'on s'attend donc à ce que Sarkozy et Royal soient les deux candidats en lice pour l'affrontement du second tour. Mais s'il faut en juger d'après l'expérience passée, ce n'est pas ainsi que fonctionne la politique française.

Depuis de Gaulle, tous les candidats à la présidentielle qui ont démarré trop tôt la campagne électorale ont perdu. Poher, Chaban- Delmas, Barre, Balladur et moi-même avons été ciblés par les médias et considérés comme candidats, déclarés ou non, plus de deux ans avant les élections et nous avons tous été battus en fin de compte. Mon sentiment est que la pression médiatique est si intense que la crédibilité d'un candidat n'y résiste pas plus de quelques semaines. La surexposition médiatique tue.

Dans ce ballet bizarre, où les principaux partis et candidats savent qu'il vaut mieux démarrer tard, les seuls bénéficiaires du cirque médiatique sont les candidats n'ayant aucune chance réelle de gagner : un extrémiste de droite, un autre encore, une communiste, deux trotskistes et diverses personnalités marginales, qui profitent ainsi de deux ans de publicité gratuite.

Mais ces candidats-là mettent en évidence un problème plus sérieux. Pour être élu président de la France, il faut plus que du charisme, un bon programme et un parti politique fort. Il faut également éviter l'écueil de la fragmentation, qui a fait perdre la gauche en 2002, lorsque aucun de ses candidats ne s'est qualifié pour le second tour. Jacques Chirac, qui n'avait recueilli que 19 % des voix au premier tour, le pourcentage le plus bas d'un candidat finalement élu à la présidence, l'a finalement remporté face à Jean-Marie Le Pen avec 82 % des voix au second tour. Le gouvernement français le plus ouvertement conservateur de la dernière décennie a essentiellement été élu par les électeurs de gauche.

Une répétition de ce scénario semble possible : la gauche compte déjà quatre candidats déclarés en plus de celui du Parti socialiste et il est probable qu'un cinquième apparaisse. Du côté de la droite, l'antagonisme de Chirac envers Sarkozy rend vraisemblable la candidature d'une autre personne, soit de Michèle Alliot-Marie, la ministre de la Défense, soit de Jacques Chirac lui-même.

A ce stade, il faut se souvenir que les sept dernières élections présidentielles ont toutes constitué une surprise. Les sondages n'ont jamais permis de prévoir le résultat final plus de six semaines à l'avance. Les élections sont encore trop lointaines pour pouvoir deviner ou prévoir quoi que ce soit avec certitude. Ce qui se dit n'est que pure spéculation. Mais au moins les médias y trouvent leur intérêt, pour notre plus grand divertissement.

MICHEL ROCARD, ancien Premier ministre et dirigeant du Parti socialiste, est membre du Parlement européen.

Cet article est publiéen coopérationavec Project Syndicate.
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