BOBBY Défilé de vedettes
Le vendredi 24 novembre 2006
![]() William H. Macy (à gauche) et l’étonnante Sharon Stone se démarquent pour la peine parmi la brochette d’acteurs connus. C’est à eux qu’on doit les scènes les plus émouvantes. |
Le Soleil
Beaucoup a été dit au cinéma sur l’assassinat de John F. Kennedy, mais bien peu sur celui de son frère cadet Robert. En l’espace de cinq ans, et quelques mois seulement après le meurtre de Martin Luther King, les États-Unis perdaient tragiquement un autre immense porteur d’espoir. Plus qu’un futur président, c’est ce qui restait de l’innocence de toute une génération qui est disparu, le soir du 5 juin 1968.
Pour sa première expérience derrière la caméra, l’acteur Emilio Estevez est retourné sur les lieux du crime, non pas pour décortiquer à la façon d’Oliver Stone dans JFK les dessous d’une tragédie, mais plutôt pour capter des moments de vie d’une galerie de clients et d’employés présents à l’hôtel Ambassador, le soir où Sirhan Sirhan a ouvert le feu.
En ce sens, Bobby n’est pas tant un film sur Robert Kennedy que sur l’idéal d’un monde meilleur qu’il incarnait et qu’il a emporté avec lui. Si la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, on peut certainement dire qu’elle a commencé à prendre son coup de vieux définitif à ce moment-là.
Pour un premier film, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Estevez montre qu’il a de l’ascendant sur ses pairs. À croire que le tout-Hollywood s’est bousculé pour jouer dans son film. Dans un chassé-croisé inspiré directement du classique de 1932 Grand Hotel (nommé dans le film), dans lequel la MGM avait réuni ses plus grandes stars d’alors (dont Greta Garbo et Joan Crawford), Bobby fait se croiser et s’entrecroiser le destin de 22 personnes.
Voir trop grand
La palette de personnages est large. Un portier fatigué (Anthony Hopkins), un gérant placide (William H. Macy) qui trompe sa coiffeuse de femme (Sharon Stone) avec une jeune téléphoniste (Heather Graham), une étudiante (Lindsay Dohan) qui se marie avec son petit copain (Elijah Wood) pour lui éviter d’aller combattre au Viêtnam, une chanteuse alcoolique sur le déclin (Demi Moore) et son mari qui commence à en avoir marre (Emilio Estevez), un gérant de cuisine raciste (Christian Slater), un serveur mexicain fou de baseball (Freddy Rodriguez), arrêtons ici, l’énumération serait fastidieuse.
De toute évidence, Estevez a vu trop grand. La lacune de son film choral se situe justement dans ce foisonnement de personnages. N’est pas Robert Altman
(Short Cuts) ou Paul Thomas Anderson (Magnolia) qui veut. Si le procédé peut s’avérer un procédé de marketing efficace, il nuit considérablement à la bonne marche du récit. La caméra passe d’un individu à l’autre sans qu’on puisse s’attacher ou compatir à ce qui se passe dans leur existence.
Trop de monde, trop peu de temps à leur consacrer en deux heures, trop d’anecdotes. Si Estevez ne savait pas où couper dans le gras, on aurait pu lui suggérer de faire disparaître Ashton Kutcher, en hippie de service sur le LSD, ou encore le couple évanescent et futile formé de Martin Sheen (le papa d’Estevez) et Linda Hunt. Un coup parti, Estevez aurait pu lui-même s’éliminer, tellement son jeu est fade.
Sharon Stone brillante
Une fois le générique dégraissé, le scénario aurait gagné au change et Estevez aurait pu se concentrer sur les personnages les plus intéressants. Au premier rang le rarement mauvais William H. Macy et l’étonnante Sharon Stone. C’est à eux qu’on doit les scènes les plus émouvantes, dont celle où la seconde, mise au courant de l’infidélité de son mari, se livre à un monologue tout en le gratifiant d’une coupe de cheveux...
Sur fond de douce nostalgie, avec en toile de fond la musique de l’époque, Bobby rappelle aussi que le problème des travailleurs étrangers illégaux ne date pas d’hier aux États-Unis, pas plus que les ratés du système de votation.
Estevez a eu la brillante idée de clore son film sur l’intégralité d’un discours de Robert Kennedy, peut-être l’un des plus humanistes à être sortis de la bouche d’un homme politique. C’est à ce moment que tous les personnages, sous le choc du drame, sont rassemblés dans un véritable élan d’émotion. Dommage qu’il n’ait pas réussi à en saupoudrer un peu plus avant.