Il y a trente ans disparaissait Malraux

(Photo : culture.gouv.fr)
C’est à un proche que le général De Gaulle confie en 1959 la charge de ce tout nouveau ministère. André Malraux a en effet été ministre de l’Information en 1945/46 dans son gouvernement de l’immédiate après guerre puis, de manière à chaque fois éphémère, ministre délégué à la Présidence et ministre de la Radio, de la télévision et de la presse, lors du retour de De Gaulle aux affaires en 1958. Entre ces deux dates s’est noué l’attachement indéfectible de Malraux à la personne du Général, ce que le journaliste et écrivain Jean Lacouture a joliment appelé «le couple inédit du Prince et de son héraut». Les deux hommes ont en commun la résistance à l’occupation allemande – quoique pour Malraux cette période ne soit pas la plus claire de son histoire - une certaine idée de la France, de la justice sociale, une manière d’être en prise directe et constante avec l’Histoire, sans oublier le talent de l’écriture.
Malraux, l’écrivain
L’Espoir, publié en 1937, en pleine guerre civile espagnole, a marqué toute une génération. André Malraux, qui a milité contre le fascisme et le nazisme dès 1933, a rejoint en 1936 les républicains espagnols à la tête de l’escadrille España (une trentaine d’avions) qu’il a organisée dans le cadre des brigades internationales. L’Espoir, qui relate sous une forme romanesque et philosophique cette expérience, sera suivi d’un film que Malraux réalise lui-même. Avant L’Espoir, Malraux a écrit plusieurs romans dont La Condition humaine (Prix Goncourt en 1933), qui évoque un épisode de la révolution chinoise en 1927, et La Voie royale (Prix Interallié en 1930), un roman d’aventures largement inspiré des propres mésaventures de Malraux au Cambodge. Le 23 décembre 1923, il a été arrêté à Phnom Penh, après avoir dérobé des statues et un morceau de bas-relief sur le site d’Angkor, dans le but de les revendre. D’abord condamné à trois ans de prison ferme, il verra sa peine réduite à un an avec sursis, à la suite d’une campagne de mobilisation des intellectuels menée en France par son épouse Clara. C’est le même homme qui en 1962, devenu ministre, sera à l’origine du projet de restauration des monuments historiques et de protection des sites classés et laissera son nom à la loi qui crée les «secteurs sauvegardés» et protège les quartiers anciens de la démolition.
Malraux ministre : Politique de prestige et œuvre sociale
Le ministère des Affaires culturelles mis en place en 1959 vient combler un manque : la France avait connu sous la IIIème République un ministère des Beaux-Arts, limité aux intérêts des artistes, aux achats d’œuvres pour les musées et à la préservation du patrimoine existant. Quand ce passionné des arts et civilisations qu’est Malraux, se retrouve rue de Valois, à la tête de ce tout nouveau ministère des Affaires culturelles, son action, tout en reflétant ses propres affinités, préoccupations et engagements, va poser les jalons d’une véritable politique culturelle avec pour axes majeurs la mise en valeur du patrimoine, le rayonnement de la culture française dans le monde et la démocratisation de l’accès à la culture.
Dans les faits, cela va se traduire sur le plan du patrimoine par le ravalement des grands monuments, notamment parisiens, leur mise en valeur (comme l’exhumation des soubassements et fossés du Louvre et la restauration du château de Versailles), mais aussi la protection de l’architecture du XIXe siècle, des commandes de prestige (le plafond de l’Opéra de Paris à Marc Chagall, celui du théâtre de l’Odéon à André Masson), l’envoi de la Joconde de Léonard de Vinci aux Etats-Unis… Sur ce terrain du patrimoine historique, s’est également exprimée la sensibilité politique de Malraux. C'est ainsi que lors de la discussion d’un projet de loi visant à soustraire à l’appétit des promoteurs, des édifices «non protégés», Malraux, s’exprimant devant l’Assemblée nationale, déclarait : «nous sommes arrivés à une époque où nous devons nous demander si la propriété individuelle, telle qu’elle a été conçue au milieu du XIXe siècle, demeure conciliable avec le développement d’un grand pays. Il faut donc que cette Assemblée affirme que la propriété privée n’est pas intangible.» *
Sa sensibilité politique de gaulliste de gauche, Malraux allait également la traduire dans la création en province et en banlieue des Maisons de la culture destinées à favoriser l’accès du plus grand nombre à la culture. Quatre mois après sa nomination, Malraux annonçait qu’avant trois ans chaque département aurait sa maison de la culture. La première fut inaugurée au Havre en 1961, l’année du lancement du premier plan quinquennal pour la culture, et sept seulement fonctionnaient à plein à son départ en 1969. Un échec sans doute au regard de l’ambition affichée alors d’une «cathédrale culturelle» dans chaque département, mais pas au regard de l’élan donné à la diffusion de la culture, qui se traduit aujourd’hui par des «scènes nationales», plus d’une soixantaine en France, et des institutions (musées, bibliothèques, théâtres municipaux, etc…) qui ont intégré le principe de la pluralité des disciplines artistiques, laquelle était au cœur de la démarche des maisons de la culture.
L’architecture
Les maisons de la culture étaient aussi un nouveau programme architectural, sans que Malraux ait vraiment eu le temps d’une véritable politique de l’architecture, en terme de création, même s’il en avait perçu l’importance. Prononçant l’éloge funèbre de Le Corbusier, le 1er septembre 1965 dans la cour carrée du Louvre, Malraux saluait celui qui, peintre sculpteur et poète, «ne s’est battu que pour l’architecture (…) parce que l’architecture rejoignait son espoir confus et passionné de ce qui peut être fait pour l’homme». Quelque quarante ans plus tard, à l’occasion du 30ème anniversaire de la mort de Malraux, la journée de réflexion organisée par le Comité d’histoire du ministère de la Culture sur «André Malraux, l’écrivain, le ministre et l’architecture» permettra peut-être d’affiner le bilan sur ce plan.
par Danielle Birck
Article publié le 22/11/2006 Dernière mise à jour le 22/11/2006 à 20:53 TU
* Cité par Max Querrien, dans Malraux, l’antiministre fondateur, éditions du Linteau, 2001 Paris. Max Querrien fut de 1963 à 1968, directeur de l’architecture, au ministère des Affaires culturelles, sous Malraux.