L’exception française
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L’exception française
« Savez-vous où est mon mari ce soir ? » Cette question, les murs des ministères, de l’Élysée ou de Versailles, il y a quelques siècles, en sont nécessairement empreints tant sexe, amour et politique sont indissociables en France. L'article d'Émilie SUEUR
Un président qui divorce durant son mandat, cela est une première. Mais un président ou un ministre dont la vie amoureuse tient de la série télévisée américaine, voilà bien un classique. De la double vie de François Mitterrand, aux vagabondages de Jacques Chirac, la cinquième République à elle seule regorge d’histoires croustillantes dont la plupart sont désormais tombées dans le domaine public. Une république qui n’a d’ailleurs rien à envier à la monarchie, à ses courtisans et courtisanes, à ses rois en quête de plaisir et à ces dames de Pompadour ou de Maintenon.
« Le pouvoir est l’aphrodisiaque suprême », déclarait Henry Kissinger. Le pouvoir rend séduisant aux yeux des dames dont les jeunes loups ont longtemps sacrifié la compagnie, obnubilés qu’ils étaient par leur cheminement vers les plus hautes sphères de la politique. « Chez nous, l’Homo politicus est souvent porté sur la chair. Il a le goût de la sensualité. Il aime conquérir les femmes. Sexus politicus ? (…) Son moteur est le désir, son but le plaisir. Énarque besogneux qui a longtemps mis ses pulsions en berne, ancien militant de base ayant passé ses nuits à coller des affiches au lieu de rester au chaud dans son lit, Sexus politicus cherche la récompense. Après tant d’efforts et d’abnégation, le pouvoir lui offre enfin la faveur de plaire aux dames », peut-on d’ailleurs lire dans l’avant-propos de Sexus politicus, un ouvrage consacré au sexe et à la politique dans l’Hexagone.*
Une analyse certes pertinente, mais qui laisse ouverte une question d’une brûlante actualité. À travers le monde, les femmes prennent le pouvoir, de Michelle Bachelet au Chili, à Ellen Johnson Sirleaf au Libéria, en passant par Angela Merkel en Allemagne ou encore Yulia Tymoshenko en Ukraine... La France a failli être dotée d’une présidente en la personne de Ségolène Royal, les Américains pourraient bien élire Hillary Clinton à la tête de la première puissance mondiale… Les Don juan vont-ils laisser la place aux Barbarella ?
En attendant les conséquences de la montée en puissance des amazones de la politique, notons que l’homo sexus politicus n’est pas une espèce endogène à la France. Les États-Unis ont eu leur John Kennedy. Quelques années plus tard, le bureau Ovale était le terrain de jeu adultérin d’un président Clinton et d’une Monica Lewinsky, grande amatrice de cigares.
Mais la France n’est pas l’Amérique. Quand les États-Unis lâchent leurs chiens conservateurs aux trousses d’un Clinton contraint d’expliquer la différence entre « relation sexuelle » et « contacts sexuels », en France on demande à un ancien Premier ministre, sur un plateau de télévision à une heure de grande écoute, si « sucer c’est tromper ». Peut-être réside-t-elle là, finalement, la véritable exception française.
Émilie SUEUR
* Sexus politicus, de Christophe Deloire et Christophe Dubois, Albin Michel, 2006.