Kidnappés par nos émotions

Publié le par david castel

[Olmert aurait pu profiter de l'occasion, avec la simultanéité de
événements (Rafah, signature du document des prisonniers) pour suivre la
voie qu'il avait tracée un an plus tôt, celle de la réconciliation, ou au
moins du cessez-le-feu. Malheureusement, ce n'est pas ce qui se passe.]


http://www.haaretz.com/hasen/spages/732054/html

 Ha'aretz, 28 juin 2006

Kidnappés par nos émotions
par Akiva Eldar

Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant


En juin de l'année dernière, peu avant l'évacuation de Gaza, un dirigeant
israélien s'adressait à un public juif à New York et déclarait ce qui suit
: «Nous sommes fatigués de nous battre, nous sommes fatigués d'être
courageux et de vaincre nos ennemis. Nous voulons pouvoir mener une vie
dans un environnement totalement différent dans les relations avec nos
ennemis. Nous voulons qu'ils soient nos amis, nos partenaires, nos bons
voisins.» Il terminait cette plaidoirie pleine d'émotion avec ces mots :
«Ce n'est pas impossible. C'est à notre portée si nous sommes
intelligents, audacieux, et si nous réussissons à convaincre nos
partenaires palestiniens de faire de même. Ainsi, ensemble, nous
avancerons pour construire des relations nouvelles, une meilleure
compréhension mutuelle et une plus grande confiance entre eux et nous.»
L'orateur était Ehoud Olmert, alors vice-premier ministre.

Un an plus tard, cette fois à Jérusalem, et sans le préfixe «vice» devant
son titre, Olmert s'adressait à un public juif lors du congrès de l'Agence
Juive et dit : «Je tiens l'Autorité palestinienne (AP) dirigée par Mahmoud
Abbas et son gouvernement pour responsables de l'acte terroriste d'hier».
Et il ajoutait : «Quiconque représente l'AP fait partie des responsables
de ce qui s'accomplit par elle, et nous ne leur accorderons aucune
immunité». Puis, lors de la réunion du cabinet de sécurité lundi soir, il
dit : «Le monde en a assez des Palestiniens. Jusqu'à présent, nous nous
sommes contenus. Ca suffit.» La fatigue de la guerre s'est envolée comme
si elle n'avait jamais existé, la sagesse a fait place à l'héroïsme, et le
langage de la menace a remplacé l'appel au partenariat.

Est-il possible qu'un homme d'Etat sage change de doctrine à cause d'une
bande de lanceurs de roquettes ? Est-il concevable qu'un dirigeant remise
sa vision à cause d'un échec militaire qui a coûté la vie à deux soldats
et la capture de leur camarade ? N'avons-nous pas encore appris que dans
nos relations avec nos voisins, la force est le problème et non la
solution ? En juin 1982, Ariel Sharon s'est servi de la tentative
d'assassinat de l'ambassadeur Shlomo Argov à Londres par le groupe d'Abou
Nidal pour faire la chasse à Yasser Arafat et a entraîné Israël dans le
bourbier libanais. En mars 2002, l'attentat terroriste à Netanya a fourni
à Sharon le prétexte pour conquérir les territoires et éliminer l'AP sous
la direction d'Arafat.


Les appels à la vengeance ont marginalisé les appels à la réconciliation
venus d'Arabie saoudite. Les échos des batailles de l'Opération Rempart
ont couvert la déclaration de paix de la Ligue arabe à Beyrouth. Et
aujourd'hui, la rage et l'humiliation ne laissent aucune chance à la
première initiative de réconciliation par des militants clés du Fatah et
du Hamas détenus en Israël. Ce n'est pas un hasard si le groupe qui a
planifié et mené l'attaque à Rafah a donné à son opération le nom de code
d'»Illusions perdues». L'«illusion», c'est le Document des prisonniers
qu'allaient signer Mahmoud Abbas et Ismail Haniyeh.

Ce document, fondé sur la cessation de toute violence à l'intérieur des
frontières de l'Etat d'Israël (lignes pré-1967), pourrait sauver la vie de
citoyens israéliens. L'objectif des kidnappeurs du soldat était de
kidnapper le cessez-le-feu et l'occasion d'une reprise du dialogue entre
Israël et une coalition palestinienne pragmatique. Si Olmert avait
vraiment le courage des mots prononcés à New York, il offrirait d'échanger
Gilad Shalit contre la libération des signataires du Document, Marwan
Barghouti (Fatah) et Abdoul Khalek Natché (Hamas). Leur libération
porterait un coup fatal à Khaled Mesh'al (dirigeant du Hamas en exil à
Damas, ndt) qui est prêt à combattre les enfants juifs jusqu'à la dernière
goutte de sang des enfants palestiniens. Il ne pourrait pas y avoir de
signe plus clair qu'Israël a l'intention d'effectuer un véritable
changement dans ses relations avec cette grande partie de la population
palestinienne qui est, elle aussi, fatiguée de la guerre.

Si le premier ministre n'a pas la force de se servir de cette occasion qui
se présente à lui pour libérer les deux hommes et renforcer leur camp, il
pourrait au moins utiliser le document comme levier pour faire progresser
le processus de paix en acceptant le cessez-le-feu bilatéral qu'il
propose. La peur d'une invasion de Gaza par Israël renforce les liens
entre Abbas et Haniyeh et améliore les chances que le feu cesse. Mais rien
de cela ne peut arriver si des tempêtes émotionnelles prennent en otage le
jugement de nos dirigeants et s'ils se conduisent comme si c'étaient eux
qui avaient été kidnappés.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article