Le cri de Guernica
Exactement à trente ans de distance, el pacto de olvido – le pacte de l’oubli – sur lequel avait été bâtie l’Espagne après Franco vient d’être effacé avec la loi déclarant «illégitimes» les tribunaux du régime franquiste. On pourrait dire que c’est l’histoire – la vérité de l’histoire – qui prend sa revanche sur la mémoire : une façon de délaisser la vieille (et on voudrait dire «classique») tentation d’une sorte de match nul entre les oppresseurs et les opprimés, au nom d’un balance of powers, c’est-à-dire d’équilibres politiques.
1977-2007 : trois décennies ont été nécessaires pour que la société espagnole, engagée dans un pari subtilement «révolutionnaire», décrète que le franquisme fut un régime illégal, une dictature qui a écrasé farouchement la démocratie. C’est, semble-t-il, le bon moment pour conduire l’opération : cette année on commémore (pas tellement, en vérité) Guernica. Le 26 avril 1937 est le premier exemple de cette pratique militaire qui sera appelée carpet bombing, c’est-à-dire un bombardement massif qui vise la destruction totale de toute une ville ou de quelques-uns de ses quartiers : généralement les centres-villes, lieux où l’on trouve les symboles du pouvoir mais où se trouve aussi la plus grande concentration d’habitants. C’est exactement ce qui se passa à Guernica, attaquée par la Luftwaffe allemande, avec le soutien de l’aviation italienne. Mussolini et Hitler étaient alliés de Franco, et 1937 fut le moment décisif pour la guerre.
Le scandale de la destruction de l’ancienne capitale basque – qui eut une grande résonance internationale grâce au travail de quelques journalistes – ne fut rien cependant en comparaison d’un autre scandale : le mensonge. Le lendemain du raid, Franco déclara que Guernica avait été détruite et incendiée par les «rouges» (les républicains). Le mensonge, comme le bombardement, fut le début ante litteram de ce qu’on appelle, désormais, «la guerre totale». Pour justifier ces guerres injustifiables sont nécessaires non seulement des falsifications, mais des véritables renversements des réalités.
En ce double sens-là, Guernica ne fut pas seulement le préambule de la Seconde Guerre mondiale, mais le modèle idéal typique de nos guerres globales et infinies, qui se basent sur la terreur (les massacres sans distinction de civils ) et sur le mensonge. Mais Guernica, avec le grand tableau de Picasso, et l’action de tant d’artistes et écrivains, fut aussi le cri de la culture contre la barbarie.