Ecrit et écran : des liaisons claires et obscures à Frontignan

Publié le par david castel

par Edouard Waintrop

tags : festival, Littérature, polar

« Mystic ­River », de Dennis Lehane - DR

Samedi soir, le Cinemistral est plein. Le 10e Festival international du roman noir a été bien préparé et les amateurs sont présents en masse. Sur scène, Stuart Kaminsky, qui situe souvent ses romans à ­Hollywood ; François Guérif (de Rivages), historien du cinéma - dans un rôle d’animateur -, et Dennis Lehane sont venus pour parler du rapport entre roman noir et film noir.

« Quand j’ai terminé Mystic ­River, j’étais persuadé qu’il n’était pas fait pour le cinéma, explique Lehane, je ne l’ai donc pas remis entre les mains d’un agent­ — en plus, je m’étais séparé de celui qui me représentait à Hollywood. Le livre est sorti et a eu un grand un succès. Un jour, je reçois un coup de fil à l’hôtel : C’est Clint Eastwood . Il m’a demandé si je serais prêt à lui vendre les droits. J’ai dit que Mystic River n’était pas adaptable au cinéma. »

Ce qui n’a pas refroidi l’ardeur du réalisateur. « Il m’a répondu : Je sais ça. Mais si, par pure hypothèse, vous le vendiez quand même, me le vendriez-vous à moi ? En une semaine, le contrat a été signé, poursuit Lehane. Clint Eastwood a ensuite joint Brian Helgeland (qui avait écrit l’adaptation de L.A. Confidential d’Ellroy pour Curtis ­Hanson, ndlr). « Il lui a demandé d’écrire un script à partir de mon roman. Helgeland lui a répondu que le livre était trop dense pour être adapté au cinéma. Clint Eastwood ne s’est pas démonté : Je sais ça. Mais si le film se faisait, l’écririez-vous pour moi ? Au bout d’une semaine, Helgeland s’est engagé à l’écrire. Il a ensuite téléphoné à Sean Penn et a obtenu son accord. On ne résiste pas à Clint Eastwood. »

Dennis ­Lehane a déjà eu l’occasion de dire combien il avait été heureux du travail du cinéaste. « Désormais, je n’attends plus rien du passage à l’écran de mes livres (1). A cette loterie, j’ai déjà tiré le gros lot. » Mais il se refuse à adapter ses propres romans : « J’ai patiemment construit un récit. Il fait 401 pages, et non 400, ou 402. Quand un réalisateur me demande de réduire ça à un script de 135 pages, c’est comme demander à un médecin d’opérer, et même d’amputer, ses propres enfants. »

« Fréquence meurtre », d’Elisabeth Rappeneau - DR

Stuart Kaminsky, lui, n’a pas cette prévention. Il aime adapter ses propres livres et « ceux des autres ». Pour les deux écrivains, celui de Boston comme celui de New York - Lehane et Kaminsky -, un livre est un livre. Un film, c’est très différent. « Cependant, quand on adapte vos bouquins, vous avez tout à gagner, ajoute Kaminsky. Si le film est bon, vous en profitez. S’il est mauvais, vous en rejetez la responsabilité sur le réalisateur. Et vous gardez le chèque », conclut-il en riant.

Ce dernier, créateur des détectives Toby Peters, Abe ­Lieberman et Lew Fonseca, avoue avoir été assez malheureux avec les films adaptés de ses bouquins - en effet pas très réussis. Un comble pour un romancier aussi fasciné par le grand Hollywood et qui a comme personnages Errol Flynn (Coup de feu dans les étoiles), Charlie Chaplin (Il est minuit Charlie Chaplin), Clark Gable ou Bette Davis. « De tous, c’est encore le film français Fréquence meurtre (d’Elisabeth Rappeneau, avec Deneuve et Dussollier, ndlr) que je préfère. » Travailler pour le cinéma sur des sujets originaux lui a été moins pénible : « J’ai écrit une part des dialogues d’Il était une fois en Amérique de Sergio Leone. Ça a été une des meilleures expériences de ma vie. Leone était un type extraordinaire. »

Kaminsky pense au cinéma quand il écrit un roman : « J’ai des images en tête. Je fais même le casting. » Ce n’est pas le cas de Lehane, pour qui le roman « existait avant le cinéma. Je n’ai pas besoin de penser à une succession de plans, au visuel, pour écrire », explique-t-il. Il avoue pourtant finir souvent ses romans en se souvenant des dernières scènes du Parrain de Coppola, quand Michael Corleone fait dézinguer tous les vassaux qui ont passé un accord avec ses ennemis, un moment où les séquences du film deviennent plus brèves, sèches, frappantes. Lisez ses romans, ils se terminent effectivement par une accélération du rythme de ses phrases, qui deviennent plus courtes.

(1) L’acteur américain Ben Affleck vient de tourner Gone Baby Gone, son premier long métrage comme réalisateur, avec Morgan Freeman et Ed Harris. Il est adapté du roman homonyme de Dennis Lehane.


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Publié dans Le Secret Bancaire

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