L'avenir de l'homme et de sa fiancée

Publié le par david castel

Le samedi 14 juillet 2007

L'avenir de l'homme et de sa fiancée

Pierre Foglia

La Presse

Ma fiancée n'aime pas que je parle d'elle, aussi n'en parlerai-je presque pas dans cette chronique, mais il faut tout de même que je dise que si je suis allé chez IKEA l'autre jour pour la première fois de ma vie, c'est de sa faute.

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Qu'est-ce tu fais ce matin?

Rien.

Pourquoi tu viens pas avec moi chez IKEA? T'es jamais allé chez IKEA?

Je ne suis jamais allé en Birmanie non plus, ça te tente pas qu'on aille plutôt en Birmanie? Pourquoi chez IKEA?

Pour acheter une armoire de rangement.

Ah ben. Et pour ranger quoi mon amour?

Les décorations de Noël, je suis tannée de les voir traîner, en particulier la couronne.

Je connais des gens qui, lorsqu'ils mangent du gigot d'agneau ou un clafoutis aux cerises s'arrêtent soudain de mastiquer pour penser aux petits enfants qui meurent de faim dans le monde. Cela m'arrive aussi, mais pas quand je mange, cela m'arrive dans certaines situations, lors de certaines conversations surréalistes, je m'absente tout à coup, me voilà au Nigeria oriental, dans un village comme Frelighsburg où j'habite, sauf que c'est au Nigeria oriental. Il y a des cases sous les bananiers, dans l'une d'elles un enfant assis à même la terre rouge de la case mange du manioc avec ses doigts dans un bol en bois. Dans la case il y a aussi un homme blanc, c'est moi, l'enfant demande à l'homme blanc: si t'étais dans ton pays en ce moment, qu'est-ce tu ferais?

Là tout de suite? Attends, laisse-moi y penser... J'irais chez IKEA avec ma fiancée, acheter une armoire pour mettre les décorations de Noël, en particulier la couronne.

L'enfant me regarde avec des grands yeux. Noël c'est pas au mois de décembre?

Si.

On n'est pas au mois de juillet?

Hé, ho le p'tit Nègre, es-tu en train d'essayer de foutre le bordel dans mon ménage?

C'est elle qui conduit, la 10, la 30, la 20, on y est, enfin pas tout à fait, on est dans le parking, on cherche une place, là là, chérie, de l'autre côté... Trop tard, on se l'est fait piquer. On reprend une autre allée, je ne supporte pas de tourner en rond dans un parking, en fait je ne supporte pas les parkings, ces petites cases où l'on se range, je finis toujours par prendre une des places réservées aux handicapés, pas pour faire chier les handicapés, enfin si un peu quand même, mais surtout pour déranger l'indistinct ordre de la grande Béance elle-même.

Heureusement c'est ma fiancée qui conduit, pas seulement l'auto. Elle n'aime pas que je parle d'elle, n'empêche qu'elle est mon lien civilisé avec le monde et avec les gens qui sont dedans. Si ce n'était d'elle je ne fréquenterais que quelques collègues de La Presse, n'entrerais jamais dans aucun autre magasin que des librairies et des magasins de vélo. Si elle me crissait là, il faudrait que je prenne d'urgence un cours de vie quotidienne, qu'est-ce qu'un NIP? Qu'est-ce qu'un thermostat? Imaginez que je ne savais même pas qu'en entrant chez IKEA, il convient de s'arrêter au comptoir pour prendre un crayon, une feuille lignée qui sert de liste d'achats, et un ruban à mesurer que l'on détache d'une souche qui en contient des centaines.

Mesurer quoi, mon amour?

L'armoire, pour voir si la couronne de Noël entre dedans.

Je ne vous ferai pas visiter IKEA, vous connaissez les lieux mieux que moi, juste quelques mots sur ce que vous n'avez pas vu, et pour cause, juste quelques mots sur vous. Je n'ai vu que vous chez IKEA. Ce bonheur sur votre visage, ce bonheur plat que l'on voit aux gens qui prennent des tranquillisants. Je vous ai vus comme des gros bébés, votre mère venait de vous donner le sein, inquiète que vous ne soyez pas complètement gavés, elle vous a donné l'autre, vous n'en reveniez pas qu'il y en ait deux, que le monde est donc merveilleux. Se mêle aussi à votre plaisir celui, chaud et grégaire, d'aller où vont les autres moutons, flanc contre flanc, par les mêmes sentiers, pour éventuellement se retrouver devant la même armoire rangement.

En même temps que nous, devant notre armoire, un couple de retraités qui en mesurait aussi le fond. C'est pour ranger votre couronne de Noël? ai-je demandé poliment. Non, du matériel de camping, m'a répondu la dame, tandis que ma fiancée me fusillait du regard. Ça contient beaucoup, a encore dit la dame.

Et c'est pas cher, j'ai ajouté.

J'ai l'air de changer de sujet, mais c'est le même, je viens juste de finir de relire les deux grands classiques de la littérature anglaise, 1984 d'Orwell, et Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley. J'avais dans l'idée de vous recommander de les redécouvrir comme lectures d'été. Je ne le ferai pas finalement.

Je les avais lus ado et n'arrêtais pas, depuis, de vanter la justesse de leurs prophéties. Prophéties mon cul, les deux donnent surtout dans le prêchi-prêcha. 1984, publié en 49, donne dans l'anti-socialisme obsessionnel. Le meilleur des mondes, publié en 1932, dénonce l'américanisation du monde.

Ni Huxley ni Orwell n'ont été foutus d'imaginer IKEA. Les deux nous promettent des cauchemars, Huxley à travers une fabrique de bébés préconditionnés, Orwell à travers un Big Brother qui, contrairement à ce qu'il m'en était resté, règne tout bêtement par la terreur. L'un et l'autre sont très loin du réel avenir de l'homme, le réel avenir de l'homme et de sa fiancée ne passe pas pantoute par la terreur, il passe par IKEA.

Finalement c'est ce fou de Polonais Witold Gombrowicz qui, à la même époque (1937), a inventé IKEA dans son premier roman, Ferdydurke: C'est seulement à l'aide d'un personnel adéquat que nous pourrons faire retomber le monde entier en enfance. (Méfiez-vous quand même, Gombrowicz n'est pas exactement une lecture d'été.)

Publié dans Biographies

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