Déclarons-nous vainqueurs et commençons à parler

Publié le par david castel

[²Si Israël s¹est vraiment embarqué dans une guerre pour forcer le Liban à
forcer le gouvernement libanais à entamer une guerre civile au service
d¹Israël, c¹est le signe que nous sommes gouvernés par une pensée encore
plus primitive que celle qui a conduit Ariel Sharon jusqu¹à Beyrouth, il y a
un quart de siècle. Et nous sommes très mal²]

http://www.haaretz.com/hasen/spages/743764.html

Ha¹aretz, 28 juillet 2006

Déclarons-nous vainqueurs et commençons à parler
Par Ze'ev Sternhell

Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant


On dit souvent qu¹un Israélien qui retourne chez lui, même après une courte
période d¹absence, a l¹impression d¹arriver dans un pays étranger. En fait,
c¹est le contraire. Il retrouve la même situation, les mêmes problèmes, les
mêmes schémas de pensée et, surtout, les mêmes solutions. Il semble que nous
n¹ayons rien appris de la première guerre du Liban ni de la défaite
américaine en Irak. Si la définition de l¹objectif stratégique d¹Israël qu¹a
donnée le chef du renseignement militaire reflète la position du
gouvernement, nous sommes très mal.

Si Israël s¹est vraiment embarqué dans une guerre pour forcer le Liban à
imposer son autorité au Sud, qui se trouve aux mains du Hezbollah, en
d¹autres termes, à forcer le gouvernement libanais à entamer une guerre
civile au service d¹Israël, c¹est le signe que nous sommes gouvernés par une
pensée encore plus primitive que celle qui a conduit Ariel Sharon jusqu¹à
Beyrouth, il y a un quart de siècle.

Mais cette fois, nous avons exacerbé le problème : au début de la troisième
semaine de combats, malgré la détermination et le courage de nos soldats, la
guerre paraît seulement commencer. C¹est la raison pour laquelle il nous
faut parvenir à un cessez-le-feu, avant que la campagne ne soit hors de
contrôle, fasse des victimes inutiles et, à terme, ne se transforme même en
échec stratégique. Dans un avenir plus lointain, nous devrons effectuer une
réforme de structure fondamentale des procédures du gouvernement et examiner
sa dépendance à l¹égard de l¹état-major militaire. Ce sont là des vérités
qu¹il ne fait pas bon de dire en ce moment, mais c¹est la réalité, et nous
devons l¹affronter.

Considérant les moyens qu¹emploie Tsahal et le rapport des forces sur le
terrain, toute issue qui reviendrait à moins qu¹à l¹élimination du Hezbollah
en tant que force combattante sera considérée comme un échec d¹Israël et un
grand succès pour l¹ennemi. Mais, étant donné qu¹il est impossible
d¹éradiquer le Hezbollah chez les chiites sans détruire la population
elle-même, la sagesse doit nous dicter d¹éviter de nous fixer des objectifs
impossibles à atteindre.

L¹incapacité d¹une forte puissance à mettre un terme à une guérilla n¹est
pas nouvelle. Depuis Napoléon en Espagne, en passant par ses successeurs en
Algérie, jusqu¹aux Américains au Vietnam et maintenant en Irak, des armées
bien organisées et équipées de la technologie la plus moderne ont toujours
échoué face à des forces irrégulières. Celles-ci savent s¹adapter à leur
environnement, elles constituent une partie inséparable de la population aux
besoins de laquelle elles répondent, que ces besoins soient matériels,
religieux ou émotionnels.

Quand il y a combat, les organisations de guérilla veulent que la population
tout entière soit touchée. Lorsque tout le monde est victime, la haine se
dirigera contre l¹ennemi, bien plus fortement. C¹est la raison pour laquelle
les bombardements de quartiers résidentiels, de centrales électriques, de
ponts et d¹autoroutes sont des actes de folie qui font le jeu du Hezbollah
et servent ses intérêts stratégiques. Une attaque contre tout un tissu
social produit un sentiment de sort partagé entre les combattants et ceux
qui se tiennent en dehors des combats. En même temps, plus la population
souffre, plus est grande son aliénation par rapport aux institutions
(gouvernement, parlement, services de sécurité divers) incapables de les
protéger.

Il est illusoire de croire que les 700.000 réfugiés libanais vont tourner
leur colère contre leur gouvernement, ou que la population encore restée sur
place va évincer le Hezbollah. Pour la population, Israël est entièrement
responsable de cette catastrophe, et toute absence de coopération avec
quiconque combat Israël sera considérée comme une trahison de la nation. Il
était idiot de supposer que l¹élite politique libanaise oserait affronter le
Hezbollah et user de sa force contre lui. Et d¹ailleurs, de quelle force
parle-t-on ? De celle de l¹armée libanaise, dont plusieurs bases ont elles
aussi été bombardées ?

Il est donc de l¹intérêt d¹Israël d¹isoler le Hezbollah, de frapper fort ses
bases et ses camps militaires, mais d¹éviter d¹endommager les
infrastructures qui sont au service de la population, même quand elles
offrent un refuge aux hommes en armes. Ce n¹est pas une question d¹éthique,
ce sont de froides considérations pratiques.

L¹objectif de cette guerre est de restreindre le Hezbollah, car personne ne
rêve plus à le détruire. Au mieux, semble-t-il, Israël devra se contenter de
l¹éloigner de la frontière. Là, derrière le dos d¹une force internationale
qui, aux yeux du monde arabe, sera de toute façon perçue comme une force de
protection pour Israël, le Hezbollah pourra se réorganiser, s¹entraîner,
s¹équiper d¹armes encore plus modernes et se préparer pour le prochain
round.

Cette situation n¹a pas de solution militaire. Le chef d¹état-major Dan
Haloutz a déjà fait entendre que la solution était politique. Ehud Olmert,
qui porte la responsabilité de façon générale, et qui devra rendre des
comptes, ferait bien de ne pas rester à la traîne derrière celui qui, de
toute façon, lui refilera la patate chaude.

Un mot du prix du soutien américain. Parfois, il semble que président Bush
souhaite qu¹Israël, à la fois détruise le Liban et subisse de lourdes
pertes. Ainsi, Israël lui fournirait un excellent alibi pour la guerre en
Irak : la guerre contre le terrorisme est mondiale, le prix du sang est le
même, comme les méthodes et les moyens employés, et la victoire met
longtemps à se dessiner. Le vassal israélien sert son maître autant que le
maître pourvoit à ses besoins.
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